#6 Label et marques-filles
les labels alimentaires en Suisse
En marketing, les marques ont parfois recours à des labels pour apporter des garanties de qualité, de sécurité, d'écologie, d'éthique, à leurs produits ou prestations. A titre d'exemple : Agriculture Biologique, BioSuisse, Qualitel, FSC, BCorp...
Les pays également peuvent bénéficier de telles cautions. En s'intégrant par exemple dans des entités supranationales. C'est le cas par exemple de l'Union Européenne : on peut critiquer le système bureaucratique de cette organisation, il faut reconnaître que le label UE a significativement aidé certains pays à rassurer les bailleurs de fonds, attirer des touristes, booster les exportations...
Les pays ayant suffisamment investi dans leur réputation nationale peuvent même créer leur propre label. C'est le cas de la Suisse et de son label "Swiss made", universellement reconnu, et devenu, avec le temps, une référence mondiale en termes de qualité.
Concernant les marques-filles, il s'agit là d'une stratégie bien connue des grandes marques, qui consiste à lancer des marques secondaires pour commercialiser des offres spécifiques, expérimenter une innovation, tester un nouveau marché, couvrir plusieurs segments de clientèle... C'est par exemple L'Oréal, avec ses marques-filles L'Oréal Paris, Garnier, Roche Posay, Lancôme... Ou encore Accor, avec ses enseignes Sofitel, Novotel, SwissHotel, Mercure, Ibis...
Portefeuille des marques-filles d'Accor
Au niveau des pays, l'exercice est rarement réussi, et surtout, rarement voulu. Les 2 Belgique, Flamande et Wallonne, s'apparentent un peu à des marques-filles, tant leurs composantes sont distinctes. On pourrait presque dire la même chose des Suisse romande, allemande et italienne. Mais ces situations sont trop difficilement instrumentalisables par un pays pour en faire des atouts diplomatiques ou commerciaux.
En revanche, la France, avec sa marque-fille Paris, est parvenue à construire un positionnement solide dans les secteurs culturels, touristiques, économiques (marchés du luxe, de la beauté et de la mode principalement). Il y a un prix politique et social à payer cependant pour cela : une forte centralisation administrative ainsi qu'une frustration constante des provinces, condamnées à vivre dans l'ombre de la marque Paris.
Construire un portefeuille de marques-filles pourrait cependant être une stratégie payante pour un pays décentralisé qui aurait fait le choix de développer des centres économiques, des technopôles, des territoires, qui valoriseront chacun une dimension spécifique de la marque-pays. La Suisse est assez exemplaire là encore, avec des villes à forte identité comme Genève, Lausanne, Zurich, Bâle, Berne...
Un modèle qui pourrait bien inspirer des pays émergents, à l'image nationale souvent défaillante ou fragile pour raisons économiques ou politiques, mais qui disposent de villes, de régions attractives, capables, par effet de halo, de contribuer à une construction narrative positive du pays.
#5 DEVISE NATIONALE ET BASELINE
La devise d'un pays synthétise la Raison d'Etre d'une nation, ou résume simplement ses valeurs cardinales, ou encore un trait identitaire fondamental.
Quelques exemples :
Afghanistan, Arabie Saoudite : "il n'y a de Dieu que Allah et Mohammed est son prophète"
Bostwana "Que tombe la pluie!"
Canada : "d'un océan à l'autre"
Turquie : "Paix dans le pays, paix dans le monde"
Venezuela : "Dieu et Fédération"
....
40 pays ont officiellement une devise, répertoriée dans leurs textes de loi ou leur Constitution, ou plus informellement inscrite au niveau de leurs armoiries ou de leur emblème national.
Ces devises jouent le rôle de slogan patriotique, censé fédérer les peuples et caractériser l'essence, l'âme du pays, en faisant appui au passage sur la religion d'Etat, le cas échéant...
Sur le plan des marques, la devise devient slogan publicitaire (le "Secouez-moi" d'Orangina) ou baseline ("faire du ciel le plus bel endroit de la terre" - Air France).
L'enjeu est identique à celui de la devise d'un pays : valoriser un trait identitaire, formaliser un projet aspirationnel.
Le statut des baselines de marque est en revanche moins stable que celui des devises patriotiques : elles ne sont pas portées dans les statuts de l'entreprise (mis à part lorsqu'il s'agit de Raison d'Etre concernant des Sociétés à Mission) et sont régulièrement renouvelées, suite à un repositionnement de marque ou simplement à l'arrivée d'un nouveau CEO.
Ce qui pourrait donner des idées à certains Chefs d'Etat souhaitant incarner une nouvelle ère pour leur Nation... Un Emmanuel Macron, s'il est réélu en 2022, pourrait bien être tenté de revisiter la sempiternelle trilogie Liberté, Egalité, Fraternité. Au gré d'un referendum, ou d'un diktat...
#4 Alphabet et typographie
La typographie est un peu la signature graphologique des marques : à travers le style de caractères utilisé, l'entreprise exprime sa personnalité. Une typographie sobre traduira l'accessibilité ou bien l'élégance. Tandis que le choix de caractères affirmés (capitales, par exemple) reflètera de la puissance ou du statut. Un lettrage original, expressif, témoignera, lui, d'une certaine extraversion, ou d'une créativité revendiquée.
Les pays disposent aux aussi d'un levier d'expression typographique : leur alphabet national! Si les pays d'Europe de l'Est nous apparaissent encore un peu "exotiques", c'est peut-être en partie parce que leur alphabet, cyrillique pour un grand nombre d'entre eux, les renvoie, dans l'imaginaire collectif ouest-européen, à une dimension slave (qui ne concerne pourtant pas la totalité de ces pays) qui nous reste encore relativement étrangère, pour ne pas dire étrange (le fameux mysticisme de l'âme slave...)...
Les pays asiatiques et arabes, quant à eux, avec leur alphabets à base de calligraphie, affichent des identités complexes, qui reflètent le respect de traditions millénaires, un sens de l'harmonie, un certain rapport au temps...
Certaines marques ont fait le choix d'une typographie personnalisée, unique. C'est le cas de Coca-Cola par exemple. Une démarche identitaire qui en dit long sur l'ambition et la souveraineté d'une marque...
Et qui explique, en contrepoint, la résistance des pays colonisés à substituer totalement la langue, et donc l'alphabet, de la nation colonisatrice, à leurs langues vernaculaires. D'ailleurs, très souvent, les 2 langues, et, le cas échéant, les 2 alphabets, coexistent. C'est le cas pour la Tunisie par exemple, qui a fait du français et de l'arabe ses 2 langues officielles. L'Algérie, elle, a opté pour l'arabe et le tamazight (berbère). Un choix "typographique" très politique...
#3 EMBLEME NATIONAL ET SYMBOLIQUE DE MARQUE
Qu'il s'agisse de diplomatie publique ou de marketing, la visibilité et l'identité sont des facteurs-clé de succès évidents. Dans le domaine du branding commercial, les symboliques expressives de marques comme le "Swoosh" de Nike, l'étoile à 3 branches de Mercedes ou le crocodile de Lacoste ont fédéré des communautés de comsommateurs de génération en génération. Comparativement, le Stars and Banners des USA, la Croix blanche helvétique et la feuille d'érable du Canada sont des totems de ralliement patriotique évidents.
Au-delà du pouvoir émotionnel de ces emblèmes, l'aspect signalétique joue également un rôle non négligeable. Le "M" en arche de Mc Donald's, visible depuis les autoroutes, ou le double C croisé de Chanel, que l'on repère instinctivement au 1er coup d'oeil sur un sac à main, en sont une illustration. Côté drapeaux. les symboliques, quand elles existent, sont assez conventionnelles : l'étoile, la croix, le croissant... Peu de recours aux illustrations héraldiques, sans doute par souci de lisibilité (un drapeau se regarde le plus souvent de loin). Peu d'originalité également, dans un souci de consensus national, mais aussi de pérennité : un graphisme neutre se démode moins rapidement qu'un graphisme typé, et comme on ne peut pas faire de lifting de drapeau tous les 5 ans...
des symboliques plutôt conventionnelles
Cependant, les emblèmes nationaux peuvent exister indépendamment des drapeaux. On parlera alors plutôt d'armoiries, plus ou moins officielles, et pas toujours bien connues des populations. A titre d'exemple :
Paradoxalement, ces armoiries, plutôt réservées à des usages protocolaires, reflètent, bien plus que les drapeaux, la culture populaire : le dragon en Chine, la fougère argentée en Nouvelle-Zélande, le trèfle en Irlande, le cheval au Turkmenistan...
Turkmenistan
Parfois, certains emblèmes nationaux ne sont incorporés ni aux drapeaux ni aux armoiries officielles, et font l'objet de déclinaisons diverses, des plus institutionnelles aux plus populaires.
C'est le cas, par exemple, du coq pour la France :
Pour garder la maîtrise de son territoire d'image, un Etat aura intérêt à "constitutionnaliser" ses armoiries officielles, s'en réservant ainsi l'usage exclusif, et à répertorier quelques symboles additionnels, dont elle gardera le contrôle, si besoin, par leur promotion au rang de label réglementé, comme l'a fait par exemple la Suisse avec le symbole de la croix blanche sur fond rouge.
Il devra également, à l'instar des grandes marques, se donner les moyens de pallier aux utilisations abusives, aux détournements et aux contrefaçons. Un travail ingrat, laborieux, mais indispensable à la sauvegarde du patrimoine de marque-pays !
#2 DRAPEAU ET LOGO
Les drapeaux des pays, régions, communes et autres territoires peuvent être considérés comme des logos. Ils ont en effet un rôle d'identification qui permet à des entités administratives de "marquer leur territoire", notamment sur le plan juridique. Le cas est flagrant pour les ambassades, qui arborent fièrement leurs drapeaux nationaux sur leurs façades. Côté marques, c'est dans les grandes surfaces commerciales que cette fonction de revendication territoriale est la plus assumée, chaque enseigne tentant d'optimiser la visibilité de son identité visuelle pour mieux se démarquer de la concurrence et délimiter son emplacement.
Le drapeau et le logo ont aussi en commun une fonction fédératrice. Ils rassemblent des communautés de citoyens, de salariés ou de consommateurs autour de valeurs fondatrices, plus ou moins évoquées dans leur design. Pour les marques, plus libres dans leur expression visuelle, la démarche peut devenir quasi messianique, avec des logos faisant référence à des symboles en résonance avec la psyché du public-cible.
Le "flying Eagle" de Harley Davidson, symbole de liberté
L'exercice est plus délicat avec les drapeaux, qui répondent à un certain conformisme. Le bleu, blanc, rouge du drapeau Français, qui symbolisaient le peuple de paris (bleu et rouge) et la royauté (blanc) n'évoquent plus grand-chose de nos jours. Certains drapeaux ont cependant fait le choix de l'originalité, utilisant des symboles plus explicites. Le logo Coréen, par exemple, utilise le Ying et le Yang et les trigrammes du Yi King représentant la terre, le ciel, le feu et l'eau.
le "Taegeukgi "de la Corée du Sud
Plus prosaïquement, le drapeau du Mozambique illustre sans détours un fusil AK-47 (détermination du peuple à défendre sa liberté) et un livre (foi dans l'éducation)...
drapeau du Mozambique
Dans leur forme, on remarquera que les drapeaux ont l'obligation d'être rectangulaires. 2 exceptions : les drapeaux de la Suisse et du Vatican, qui sont en carré. Pour la Suisse, qui a longtemps bataillé pour défendre son exception morphologique (sur la base d'un règlement de l'ONU, autorisant toute forme divergente de drapeau, à condition qu'elle ne dépasse pas celle du format rectangulaire standard), le carré illustre idéalement les valeurs de stabilité, de force tranquille, d'équilibre qui caractérisent les Insititutions et les citoyens de ce pays.
Il arrive aussi que le drapeau, comme le logo d'ailleurs, fédère (trop) sélectivement, dans une logique partisane (pour le logo, on parlera plutôt de logique de segmentation...). Ce fut le cas avec le nouveau drapeau de Madagascar, dont les couleurs rouge et blanc feraient allusion à une population spécifique, celle du royaume anciennement dominateur de Merina. Le rouge et le vert, quant à eux, renverraient aux couleurs du parti politique PSD, qui était au pouvoir à l'époque...Pour surmonter les rancoeurs, il est dorénavant expliqué que le rouge réfère au sang de zebu, le vert aux forêts malgaches et le blanc, à la paix...
Enfin, je concluerai ce parallèle entre drapeau et logo en mentionnant leur dimension quasi-sacrée : brûler ou déchirer un drapeau est un sacrilège, tout comme déformer ou imiter le logo d'une marque... Les grandes entreprises dépensent plusieurs centaines de milliers d'euros chaque année pour entretenir et défendre leur identité visuelle. Une simple anomalie de couleur ou de typographie sur un logo attirera immédiatement l'oeil d'un client et suscitera la méfiance ou la déception. Logos et drapeaux ont ainsi leur intégrité, parce l'un et l'autre symbolisent, plus que tout autre signe, la souveraineté d'une marque ou d'un pays.